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Reporting de durabilité CSRD : adoption par la Commission européenne du règlement délégué sur les normes d’information de durabilité (ESRS) du 31 juillet 2023

L’adoption de ce premier acte était attendue pour la mise en œuvre de la Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD). Le Parlement européen et le Conseil disposent maintenant d’un délai de deux mois, prorogeable de deux mois, pour formuler leurs éventuelles objections. Dans le cas contraire, le règlement délégué entrera en vigueur. C’est en tout état de cause une nouvelle étape dans le déploiement du Pacte vert pour l'Union européenne qui doit permettre de financer la transition vers une économie plus durable et neutre en carbone d’ici 2050.


Entreprises concernées et calendrier d’application


Quelques 50.000 entreprises européennes de plus de 250 salariés sont concernées dès le 1er janvier 2024 (pour les entreprises qui étaient déjà soumises aux obligations d’information non financière introduite par la directive sur la publication d’informations non financières). Les petites entreprises cotées seront concernées à partir de 2027 et les entreprises des pays tiers de l’Union européenne qui opèrent en Europe le seront à partir de 2028.


Modification des rapports de gestion des entreprises


La Directive CSRD oblige les grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises cotées, les sociétés mères de grands groupes à prévoir une section spécifique de déclaration de durabilité dans leur rapport de gestion ou leur rapport consolidé de gestion. Cette déclaration comporte certaines informations qui doivent être conformes aux normes européennes d’information en matière de durabilité (ESRS).


Objectifs des normes ESRS


Ces normes précisent les informations qu’une entreprise publie sur ses incidences, risques et opportunités (IRO) importants en ce qui concerne les questions de durabilité en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Ces informations permettront aux entreprises et aux utilisateurs de la déclaration de durabilité de comprendre les incidences importantes de l’entreprise concernée sur la population et l’environnement ainsi que les incidences importantes des questions de durabilité sur l’évolution, les résultats et la position de l’entreprise (double importance). Elles seront utilisées de manière comparative par les investisseurs et des établissements financiers qui ont besoin de données pertinentes et fiables afin de diriger leurs capitaux vers des solutions durables et de répondre à leurs obligations de transparence.


Premières normes d’informations communes ESRS


Le Règlement délégué du 31 juillet 2023 définit la première série de normes ESRS que les entreprises doivent utiliser pour publier leurs informations en matière de durabilité conformément aux articles 19 bis et 29 bis de la Directive comptable, y compris au moins les informations dont les acteurs des marchés financiers ont besoin pour se conformer aux obligations de publication.


Les douze normes ESRS de cette première série sont communes à toutes les entreprises relevant du champ d’application de la CSRD, quel que soit le ou les secteurs dans lesquels ces entreprises exercent leurs activités. Ces normes d’informations comprennent deux normes transversales (ESRS 1 Exigences générales, ESRS 2 Informations générales à publier) et dix normes thématiques relatives aux aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (5 ESRS E,  4 ESRS S, 1 ESRS G).


Ces normes permettent à l'entreprise d’identifier les activités profitables à la transition durable, et l'utilisation d’un langage commun permet la comparabilité des performances et des trajectoires ESG au sein de l’Union européenne. Elles seront accessibles gratuitement aux parties prenantes à partir de 2026 sous forme digitalisée.


Evaluation de la double importance relative (« double matérialité ») des informations


Si l’ensemble des normes ESRS est obligatoire, une entreprise n'a pas d'obligation de publier des informations couvertes par ces normes lorsqu'elle considère, après évaluation, que le thème n’est pas important. Cette évaluation de l'importance concerne toutes les normes, exigences d’informations et points de données, sauf pour les informations de la norme ESRS 2 qui devront toujours être publiées.


L’importance des informations est évaluée du point de vue de l’incidence, c’est-à dire des incidences positives ou négatives, réelles ou potentielles, de l’entreprise sur la population ou l’environnement à court, moyen et long terme. Sont prises en compte les incidences liées aux activités de l’entreprise, à sa chaîne de valeur, ainsi qu'à ses relations d'affaires directes et indirectes. Toute la difficulté sera d'apprécier l'incidence des facteurs extérieurs à l'entreprise, comme les usages des consommateurs.


L’importance sera évaluée du point de vue financier par une appréciation des incidences financières de la question de durabilité sur l'entreprise, y compris en terme de risques et opportunités de l’entreprise mais également imputables à ses relations d’affaires. Les dépendances à l’égard de ressources naturelles, humaines et sociales seront prises en compte comme source de risques ou d'opportunités financières dans la mesure où elles peuvent influencer la capacité de l'entreprise à continuer d'utiliser ou d'obtenir les ressources dont elle a besoin dans ses processus, la qualité et la tarification de ces ressources et à s'appuyer sur les relations dont elle a besoin dans ses processus dans des conditions acceptables.


Les entreprises ne pourront omettre des informations que si elles peuvent démontrer à leurs auditeurs que la thématique n’est pas importante. Dans le cas d’ESRS E1 Changement climatique, elles devront publier une explication détaillée des raisons pour lesquelles le thème du changement climatique n’est pas important, en y incluant une analyse prospective des conditions qui pourraient l’amener à conclure à l’importance du thème à l’avenir. Elles pourront publier une explication succincte dans le cas des autres normes thématiques (ESRS1 32).


L’entreprise devra en tout état de cause respecter des exigences de publication minimum concernant les politiques, les actions, les métriques et les cibles (MDR-P, MDR-A, MDR-M et MDR-T). Les ESRS contiennent également des exigences d’application.


Conséquences organisationnelles


La mise en œuvre de ces normes opère comme vecteur de changement des organisations puisque la gouvernance (GOV) de l'entreprise devra s’interroger sur la durabilité de son modèle commercial et de la stratégie d’entreprise (SBM), adopter des politiques interne, des systèmes d'incitation, mettre en œuvre des actions, fixer des cibles (MT) assorties d’échéances en matière de durabilité et publier des métriques.


Tous les métiers et fonctions supports (RH, finance, systèmes d’information, risques, etc) seront mis à contribution. Pour les financiers et juristes, cela signifie qu’ils devront se former à la durabilité, s’acculturer au raisonnement en double importance relative. Des programmes de formation initiale ou continue seraient utiles.


Une coopération avec les parties intéressées touchées sera essentielle dans la procédure de diligence raisonnable continue de l’entreprise et dans l’évaluation de l’importance en durabilité. La difficulté étant que ces parties peuvent être des personnes intérieures à l’entreprise (salariés), comme des relations d’affaires directes ou indirectes dans sa chaîne de valeur.


Au-delà de la collecte des informations, l'analyse des scénarios sera une étape décisive vers l'établissement de plans d’actions, y compris de plans de transition qui permettront de déterminer comment flécher les profits vers des objectifs durables.


Qualité des données et vérification externe


La qualité et la fiabilité des informations et métriques notamment socio-environnementales étant un enjeu crucial, elles devront obligatoirement être auditées par des vérificateurs externes. La déclaration relative à la durabilité devra respecter les caractéristiques essentielles des informations, à savoir la pertinence et la représentation fidèle ainsi que les caractéristiques auxiliaires des informations, à savoir la comparabilité, la vérifiabilité et la compréhensibilité.


La vérification est obligatoire dans toute l'Europe. La Directive prévoit que ce travail de vérification sera effectué soit par un commissaire aux comptes soit par un organisme tiers indépendant indépendant (selon le choix des  Etats). La vérification par un organisme tiers indépendant pourra apporter un niveau de sécurité complémentaire, les commissaires aux comptes et organisme tiers indépendant (contrôle à quatre yeux) devant effectuer des vérifications coordonnées, la vérification des comptes et celle de la durabilité avec l’évaluation en double importance étant interdépendantes, l’une impactant l’autre.


Indicateurs de référence pour l’évaluation de la double importance relative


L’importance du point de vue de l’incidence sera évaluée en utilisant les indicateurs de référence requis par la finance durable (règlements SFDR, indices de référence, etc). Concernant l’importance financière, le règlement délégué limite finalement l’évaluation à l’identification des informations considérées comme importantes pour les principaux utilisateurs des informations financières à usage général dans le cadre de prises de décisions relatives à l’octroi de ressources à l’entité. Le règlement procède donc à un alignement a minima puisque sur la base des IFRS S1 et S2 de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), l'idée étant que les informations financières importantes pour les autres parties prenantes non couvertes par l'évaluation financière le seront par l’évaluation de l’incidence. Afin de favoriser l’interopérabilité/convergence des ESRS avec les autres normes internationales, l’European Financial Advisory Group (EFRAG) a publié un tableau de correspondances entre les deux premières normes internationales IFRS S1 et S2 et les ESRS et envoyé ses observations à l'ISSB afin de faire bouger les lignes. 


Prochaines étapes


L’EFRAG publiera dans quelques jours des guides pratiques sur l’évaluation de la double importance relative et la chaîne de valeur. Il sera également question de l’interopérabilité avec les autres systèmes de normes internationaux, notamment les normes IFRS. De nombreux défis sont à venir. La Commission doit en effet adopter des normes sectorielles d’ici 2024, des normes proportionnées pour les PME cotées et des normes pour les entreprises de pays tiers.

Coraline Damien